C'est dans la conception de la ville5 que l'art baroque innove réellement. La Renaissance italienne avait commencé à repenser l’urbanisme, mais le faisait dans les marges de la ville médiévale « fermée ». Le baroque, lui, « ouvre ». Il ouvre la ville pensée comme espace systématisé, il perce des perspectives infinies, il conçoit la capitale comme le centre de forces qui rayonnent bien au-delà de ses limites. Il n'est pas interdit de penser que la révolution copernicienne puis newtonienne qui s'imposent alors, influent sur les esprits des commanditaires6 comme des architectes et urbanistes.
Comme pour tout ce qui est baroque, tout a commencé à Rome, avec le percement de grandes voies dégagées pointant vers des églises pour les mettre en valeur, les escaliers de la Piazza di Spagna, la place et la fontaine de Trevi. Mais le véritable modèle copié dans toute l'Europe est Versailles, en tant que forme de ville idéale au xviie siècle : le palais est au centre de deux vastes espaces définis par des perspectives divergentes qui se prolongent à perte de vue. La forme géométrique simple est centrée vers la figure du souverain absolutiste qui forme le noyau, le centre de gravité du système.
Le modèle versaillais est copié à la Résidence de Wurtzbourg et surtout à Karlsruhe (1715) dont le margrave Charles-Guillaume de Bade-Durlach en dessina peut-être le plan en éventail aux détails urbanistiques très étudiés.
Le projet urbanistique le plus ambitieux de tout le siècle et le plus complet est cependant la fondation de Saint-Pétersbourg par le Tsar Pierre le Grand en mai 1703. Trois avenues rectilignes (dont la perspective Nevsky) rayonnent depuis l'Amirauté. L'architecte français Le Blond est chargé de parfaire l'ouvrage.
Quand ils ne bâtissent pas ex nihilo, une capitale, les souverains absolutistes les embellissent. La Plaza Mayor devient un lieu commun en Espagne. Louis XIV à Parisdresse l'esplanade des Invalides, le Champ-de-Mars, l’Axe historique que Le Nôtre, le paysagiste du château de Versailles, fait tracer en 1640 dans la continuité duLouvre et des Tuileries et, conçue par Jules Hardouin-Mansart en 1699, la place Vendôme. Louis XV poursuit cet effort avec la place de la Concorde
Plus modeste, mais non moins représentative, la place Stanislas de Nancy témoigne de l’allégeance envers le roi de France dont une statue est initialement érigée en son centre, en face d’un arc triomphal à sa gloire. La place réunifiant les deux villes développe un nouvel axe structurant de la ville dont chaque extrémité est ornée d’un arc en l’honneur du duc-roi et de son épouse. Il s’agit d’une vaste composition où s’élèvent un palais du gouverneur, un théâtre, et une académie des sciences ; des fontaines aux sujets mythologiques et un travail de ferronnerie raffiné laisse ouverts les angles sur la ville et le paysage.
En Italie, Turin est un compromis idéal entre la ville baroque française (monarchique, le gallicanisme absolutiste ne reconnaissant, in fine que l'autorité du roi) et la ville baroque romaine (religieuses, les artères percées vont d'une basilique à l'autre). Le plan est rationnel et laïc, les seuls édifices qui dominent la ville horizontale sont en revanche les clochers et les dômes des églises. Le palais Carignan (1679-1685) par Camillo-Guarino Guarini, certes imposant, respecte l'horizontalité imposée aux édifices civils.
Toutes les villes d'Europe devraient être citées à un titre ou un autre, tant le siècle connaît d'innovations urbanistiques et de projets citadins, en particulier en Allemagne qui se relève alors des ravages et destructions de la guerre de Trente Ans, mais citons Bath, en Angleterre qui expérimente un concept nouveau qui fera florès, celui de la « ville-jardin » avec une liberté conceptuelle rarement vue jusqu'alors dans la création urbaine : le Royal Crescent est en demi-cercle sur le modèle du théâtre antique, le King's Circus est une place ronde sur celui du Colisée.
La ville baroque est un théâtre et son souverain un metteur en scène implacable qui plie la nature à ses jardins tracés au cordeau, la ville à sa poigne de fer et qui peut dire, comme Auguste dans Cinna : "Je suis maître de moi comme de l'univers. Je le suis. Je veux l'être"7.